Le même et l’autre
Edito - L’art du cinéma n°92
par L’art du cinéma
—« Le même et l’autre », drôle de thème pour une revue de cinéma ! Qu’entendez-vous par là ?
— C’est la question de l’identité et de la différence qui est en jeu : par exemple, est-ce que vous voulez qu’il n’y ait que du même que vous dans votre petit monde ? Ou bien y acceptez-vous l’existence de l’autre, ce qui l’agrandit considérablement ?
— Oui, s’il accepte d’être comme moi.
— Ah, vous voyez, vous ne voulez que du même, du « comme moi », de l’identique. Mais vous-même, dites-moi, êtes-vous sûr d’être bien identique à vous-même ? Sûr de votre identité ?
— Comment ça ? J’ai mes papiers, Monsieur, et mes ancêtres…
— Je ne vous parle pas de vos aïeux, Monsieur, ni de vos papiers, mais de vous-même. N’êtes-vous pas parfois, dans le secret de votre âme, un autre ?
— Si vous parlez des tréfonds du Dr Freud, je n’en ai rien à savoir. Mon inconscient, ce n’est pas moi.
— Vous admettez donc qu’il y a un autre en vous. Et sans même le secours de la psychanalyse, qui n’est en effet pas de notre ressort, êtes-vous bien sûr d’être toujours le même ? Êtes-vous bien le même avec vos parents, avec votre épouse, avec vos enfants, vos amis, vos collègues ? N’avez-vous jamais ressenti l’impulsion de vivre une autre vie, de devenir un autre, ne serait-ce qu’à temps partiel, pour faire autre chose que ce que vous faites quotidiennement ?
— Ha ! Je vous vois venir : vous allez me parler de Jekyll et Hyde.
— Nous n’en parlons pas dans ce numéro : nous l’avons déjà fait, à propos de l’acteur.
— Vous ne parlez donc pas de l’acteur non plus ?
— Oh que si ! Comment parler de cinéma sans parler des acteurs ? Comment parler du même et de l’autre sans parler des acteurs, qui sont par excellence le lieu de rencontre des deux ? Et quand, de plus, le même acteur joue deux rôles différents dans le même film, comme dans La vie d’un honnête homme, cette rencontre devient une expérimentation.
— Je vois qu’en effet vous parlez de deux films de Sacha Guitry, n’est-ce pas excessif ?
— C’est un cinéaste qu’il est temps de prendre au sérieux. On a trop longtemps tenu ses films pour divertissants, superficiels, égotistes et sans idées : il suffit de les voir pour se persuader qu’au contraire ce sont de vraies inventions de cinéma, et d’une grande modernité.
— Et deux films sur Israël et la Palestine ?
— C’est aujourd’hui l’endroit du monde où est concentrée la question des rapports entre le même et l’autre. Ces deux films en proposent une disposition nouvelle : la possibilité pour les uns et les autres de vivre en paix dans le même pays.
— Ce sont des documentaires. C’est à la mode, il est vrai.
— L’art du cinéma cultive à l’égard des modes une indifférence que certains qualifieraient de ringardise. Pour nous, tous les films naissent égaux en droit de regard : documentaire ou fiction, blockbuster ou film d’auteur, il n’y a à nos yeux que des films.
— Donc pour vous, tous les films sont les mêmes ?
— Ne confondons pas le même de l’égalité et le même de l’identité fermée. L’égalité ne signifie pas l’abolition des différences, l’uniformité. Si pour nous tous les films sont égaux, nous différencions d’abord ceux où il y a de l’art, c’est-à-dire des idées-cinéma, de ceux où nous n’en voyons pas. Et l’éventail de films que nous proposons ici prouve assez la singularité de chacun dans sa façon d’aborder le même et l’autre.
— Mais je vois que vous ne parlez d’aucun extra-terrestre ?
— L’altérité absolue est le corollaire de l’identité fermée, nous avons préféré mettre l’accent sur les films où l’autre est aussi même, et le même aussi autre.
— Eh bien, voyons cela de plus près…