The Searchers (La prisonnière du désert, 1956) de John Ford
Le héros destitué
Résumé du scénario :
En 1868, avec trois ans de retard, Ethan Edwards (John Wayne) revient de la guerre de Sécession chez son frére Aaron ; celui-ci a trois enfant et un fils adoptif, Martin Pawley (Jeffrey Hunter), un jeune homme qui a du sang comanche : pour cette raison Ethan refuse de le considérer comme un membre de la famille.
Les Indiens attaquent la ferme et enlèvent Debbie, une des filles d’Aaron. Ethan et Martin se lancent à leur poursuite avec les Texas Rangers du Révérend-Capitaine-Marshal Clayton. L’expédition échoue, et ils reviennent chez Laurie, la fiancée de Martin. Des informations arrivées en leur absence remettent Martin et Ethan sur la piste de Debbie. Aprés cinq ans de recherches ils réussissent à la retrouver : elle est devenue la femme du chef indien Scar. Mais Ethan ne veut pas d’une nièce indienne et rebrousse chemin. Martin sauve alors Debbie à l’insu d’Ethan ; celui-ci, revenu, s’apprête à la tuer, mais, au dernier moment, la prend dans ses bras. Ils rentrent ensemble puis Ethan repart seul.
Comme tous les grands westerns The Searchers propose une vision différente du genre, qui se donne dans les transformations formelles entre les deux parties du film. Son sujet est inscrit dans le rapport entre ces deux parties : le passage d’une nation pure à une nation métisse.
Dès le début John Wayne, qui est de toute évidence le héros solitaire tel qu’on l’attend, est caractérisé de façon assez inhabituelle : Ethan est un homme abattu, découragé, amer. Alors que Ford présente une image de la famille unie qui accueille Ethan joyeusement, celui-ci brise cette unité familiale pour des raisons d’origines raciales. En rompant l’harmonie familiale il amène une division qu’on n’attend pas du héros classique. Il apparaît clairement comme un personnage haineux qui s’exclut lui même du collectif familial. Cette division va marquer tout le reste du film, y compris donc dans sa structure en deux parties. Ethan est encore imprégné de la division entre le Nord et le Sud, qui finira par le pousser à se mettre en dehors des lois, et donc en dehors de la société, comme lorsqu’il refuse de s’engager dans les Texas Rangers, se séparant de Clayton qui est à la fois Pasteur, Marshal et Capitaine. A cette division va venir s’ajouter une division nouvelle, celle que le film va donner à penser particulièrement : entre les Blancs et les Indiens.
La première partie du film semble aller dans le sens d’Ethan. L’attaque de la ferme et la destruction de la famille placent les Indiens en position d’ennemis absolus comme dans le western classique. Mais le western classique s’interrompt (Ethan n’aboutit pas dans ses recherches), comme si un tel héros, haineux et raciste n’était plus acceptable. On voit vite qu’Ethan est aussi haineux que le chef indien Scar. Quand Scar et Ethan se rencontrent pour la première fois, le cadrage ne favorise pas l’un ou l’autre mais symétrise les deux personnages. On découvre que la haine de l’autre est celle du même qui est en l’autre.
La seconde partie présente un changement, une rupture qui est rendue par une dissociation entre l’image et le son. La lettre de Martin lue par Laurie permet de passer à une autre forme. On assiste au passage de la voix de Laurie lisant la lettre, à la vision de ce qu’elle raconte, puis à la voix de Martin qui commente l’action. Ce qui nous amène au point de vue de Martin. C’était jusque là un personnage secondaire et il devient égal en importance à celui d’Ethan, si ce n’est supérieur puisqu’on a accès à sa pensée sur l’action. On a à la fois le point de vue subjectif de Martin et celui, objectif, de l’image. Cette rupture amène un héros supplémentaire au film. Et ce qui importe est qu’il s’affirme comme figure du peuple davantage que ne l’était Ethan, le peuple qui dès lors est représenté par un métis.
Ethan, qui avait déjà montré sa répulsion face aux captives blanches devenues Indiennes, propose à Martin de devenir son héritier après avoir constaté que Debbie est elle aussi devenue une Indienne. Ceci fait passer Ethan d’un racisme “de sang” à un racisme “communautaire” : Martin n’a pas l’air d’un Indien, ce qu’Ethan préfère à l’image de Debbie. Martin en refusant cet héritage marque une rupture définitive entre eux. Ethan est amené à laisser petit à petit son rôle d’expert au profit de Martin qui est à la fin du film devenu un héros, ou en tout cas l’aura été. Martin apparaît ensuite tout aussi expert et accède à la reconnaissance du fait qu’il est un homme, métis ou pas. A la fin du film, Mose Harper [1] s’adresse à Martin plutôt qu’à Ethan pour révéler où est Debbie.
Ethan est à nouveau amené à suivre le collectif et c’est en quelque sorte une seconde chance pour lui de revenir dans l’ordre social et légal. Mais même si Ethan semble pouvoir se laver de ses fautes aux yeux de la société, il lui reste une dernière épreuve, celle que Martin redoute, la rencontre finale avec Debbie. Ethan prétend qu’il n’y a rien à faire et essaye de convaincre Martin : il lui apprend que parmi les scalps de Scar montrés par Debbie il y avait celui de la mère de Martin. Martin s’écrie que cela ne change rien, que ce n’est pas Debbie qui a tué sa mére. Martin, soustrait pour la première fois du film à la supériorité d’Ethan, devient définitivement le héros aux yeux du spectateur. On s’attend alors à un duel final entre Martin et Ethan, dont l’enjeu serait la vie de Debbie, mais il est évité par le revirement d’Ethan, au dernier moment : "Welcome home Debbie".
A la fin du film le collectif est divisé en trois groupes. Il y a d’abord Clayton et les Texas Rangers (l’Etat), qui repartent on ne sait où. Ensuite Martin et Debbie qui retrouvent une famille. C’est cette famille reconstituée qui fait revivre la nation, une nation nouvelle, métissée, où le peuple n’est plus dans la division. C’est parce que la nation est constituée sur ces bases que l’Etat est mis en retrait. Enfin il y a Ethan qui est exclu de l’un comme de l’autre sans qu’aucun des personnages ait eu à le rejeter : c’est la porte qui se referme qui l’exclut, et c’est la main invisible du cinéaste qui ferme cette porte (comme elle avait ouvert celle du début du film) sur cette image du héros solitaire, déchu des westerns où il était seul à pouvoir bâtir la Nation. - Cette question, la construction d’une Nation, Ford la renvoie au collectif.