R. di Stefano, Vive le cinématographe !, Al Dante, 2014.
Le livre de Rudolf di Stefano est un montage de textes ou d’interviews de Robert Bresson, de Jean-Luc Godard et de Jean-Marie Straub et Danièle Huillet, assortis de commentaires, d’explications ou de réflexions parallèles : une sorte de conversation imaginaire, ou de rêverie d’un cinéaste solitaire – car on devine que la question qui sous-tend tout le livre est celle d’un cinéaste : « Que faire ? », et qu’il s’agit de trouver, dans la parole des grands référents de la modernité cinématographique du XXe siècle, un guide pour l’action, une voie pour le cinéma du XXIe. Cette question fait toute la singularité d’une pensée sincère à l’œuvre dans ce livre touffu, qui donne matière à penser au lecteur, fût-ce dans ses désaccords et ses objections.
Ainsi, au principe même du livre on pourrait objecter ce que dit Straub des écrivains, qui « savent moins bien le poids d’un mot que nous [lecteurs] » : pourquoi les cinéastes sauraient-ils mieux que nous, spectateurs pensifs, le poids de leurs films ? Un film de Bresson en dit infiniment plus (et mieux) sur le cinéma que toutes ses Notes sur le cinématographe, dont je ne conteste pas là le grand intérêt.
Mais mon plus grand désaccord sera plutôt avec l’idée d’un cinéma « pur » – d’où la reprise du terme de cinématographe, à la suite de Bresson. On sait que sur la question, L’art du cinéma défend la thèse bazinienne d’une impureté constitutive du cinéma, qui est une de ses singularités en tant qu’art, toute tentative de le définir en pureté aboutissant fatalement à évacuer sa dimension artistique propre, soit en en faisant une annexe des arts plastiques (le cinéma expérimental), soit en le réduisant à un simple moyen d’enregistrement (le reportage).
Du reste, là-dessus encore, les films de Bresson, nourris de romanesque, de pictural ou de musical, contredisent ses thèses explicites – pour ne rien dire des films de Godard ou des Straub. La thèse d’un cinématographe séparé du cinéma conduit en fait à l’idée d’une « révolution » artistique qui ferait table rase du passé, idée finalement iconoclaste. C’est pourquoi nous repérons aujourd’hui l’héritage de la modernité dans le néoclassique, et préférons voir l’avenir du cinéma dans les films plutôt que dans le discours des cinéastes, pour éviter les pièges d’une théorie prescriptive du cinéma.