J.-P. Esquénazi, Le Dictateur de Charlie Chaplin, PUL, 2019.
Le Dictateur est un événement considérable dans l’histoire du cinéma : éminemment politique, il s’attaque frontalement au nazisme et à son incarnation, Adolf Hitler, au moment même où les troupes allemandes déferlent sur l’Europe.
À la fin des années 1930, alors que l’industrie hollywoodienne hésite à produire des œuvres antinazies, Charlie Chaplin fait le choix de confronter Charlot à Hitler. Celui que la droite américaine soupçonne d’être « communiste » ou « juif » ne livre alors pas un film patriotique – comme l’après Pearl Harbor en produira à la chaîne –, mais un film humaniste, universel. Le premier film parlant de Chaplin sera un cri d’alarme, un cri politique adressé au monde entier.
C’est donc sous cet angle, celui du film politique, que Jean-Pierre Esquenazi analyse les scènes, les personnages, les dialogues du Dictateur. Car cette prise de position politique s’accompagne d’une rupture esthétique dans la filmographie de Chaplin.
De scène en scène, les codes du slapstick sont abandonnés pour une caméra plus mobile, qui gagne en expressivité, tandis que le personnage du barbier juif, portant pourtant les attributs de Charlot, gagne une profondeur que ses avatars précédents n’avaient pas. Son double maléfique, Hynkel, ne manque pas d’interroger non plus : c’est en effet la première fois que Chaplin endosse un autre costume que celui de Charlot. Cette dualité Charlot/Hynkel, Chaplin/Hitler, trop souvent résumée à une simple affaire de moustache, est au cœur de cet essai.